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RDC : Vital Kamerhe condamné à 20 ans de prison au terme d’un procès sans précédent
By Juliette Dubois, Le Monde, 20 juin 2020
Jun 22, 2020 - 11:31:56 AM

Le directeur de cabinet du président Tshisekedi a été reconnu coupable, ce samedi 20 juin, de détournement de deniers publics et corruption aggravée.

Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC), lors d’un meeting à Kinshasa, en République démocratique du Congo, le 28 décembre 2018.
Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC), lors d’un meeting à Kinshasa, en République démocratique du Congo, le 28 décembre 2018. Baz Ratner / REUTERS

C’est un procès historique qui s’achève. Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale et directeur de cabinet du président de la République, Félix Tshisekedi, a été condamné, ce samedi 20 juin, par le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe à 20 ans de travaux forcés – dans les faits, de prison –, la peine maximale, pour « détournement de fonds publics » et « corruption aggravée ». Il se voit aussi frappé de dix ans d’inéligibilité. C’est la première fois qu’une figure politique de cette importance est condamnée pour de tels faits en République démocratique du Congo.

Vital Kamerhe et son coaccusé, l’entrepreneur libanais Samih Jammal, sont donc reconnus coupables du détournement de près de 50 millions de dollars destinés au financement de maisons préfabriquées prévu dans le programme d’urgence des 100 jours lancé par le chef de l’Etat après son investiture le 24 janvier 2019.
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Nombreux rebondissements

Depuis le 11 mai, tout le pays suivait la retransmission des audiences sur la RTNC, la chaîne de télévision nationale, qui avaient lieu dans l’enceinte de la prison centrale de Makala à Kinshasa. Le procès a connu de nombreux rebondissements depuis son ouverture. Plusieurs audiences ont été repoussées. Surtout, le juge Raphaël Yanyi, en charge du dossier, est mort brutalement et dans des circonstances suspectes fin mai. Après des rumeurs d’empoisonnement, le ministre de la justice, citant les résultats de l’autopsie, a, finalement, conclu à un meurtre causé par des coups à la tête. Des résultats contestés par la famille du juge.

Au début du procès, Vital Kamerhe et ses avocats s’étaient montrés combatifs et confiants. Ils affirmaient alors que le ministère public n’avait aucune preuve du détournement, et le responsable politique avançait qu’il n’était qu’un lointain superviseur du programme présidentiel. M. Kamerhe dénonçait un complot visant à l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2023, comme prévu par l’accord de Nairobi conclu avec Félix Tshisekedi en 2018.
La corruption également retenue

Mais au fil des audiences, le procureur et la partie civile se sont efforcés de démonter la défense de M. Kamerhe. Selon eux, contrairement à ce qu’il affirmait, l’accusé était bien l’ordonnateur des dépenses du programme des 100 jours, faisant décaisser 59 millions de dollars alloués à la construction de 4 500 maisons préfabriquées avant même que les marchés ne soient autorisés et les avenants signés. L’argent ayant ensuite été retiré en intégralité par Samibo et Husmal, les entreprises de l’entrepreneur libanais Jammal Samih, lui aussi condamné à 20 ans de prison.

La partie civile a expliqué que le directeur de cabinet s’était « empressé » de faire sortir l’argent des caisses de l’Etat. Pourtant, les maisons n’ont pas été livrées. Un an après la commande, sur les 4 500 unités commandées, seules 211 sont arrivées, et elles ne sont pas terminées.
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La corruption a également été retenue par le juge : la belle-fille de Vital Kamerhe a été accusée d’avoir reçu des parcelles de terrain de la part de Samih Jammal, en échange de l’attribution des marchés, au mépris des procédures légales. De plus, selon le procureur, Vital Kamerhe et sa famille ont acquis plusieurs biens immobiliers de grande valeur pendant cette même période, des biens qu’ils n’auraient pas pu acheter avec leur rémunération officielle.

« Les motivations sont politiques »

Pour de nombreux représentants de la société civile, ce verdict marque un tournant dans la lutte anticorruption dans le pays. A l’Observatoire de la dépense publique (ODEP), Valéry Madianga, l’un des responsables de l’ONG, salue une « grande victoire du contrôle citoyen ». Mais pour un cadre de l’Union pour la nation congolaise (UNC), le parti de Vital Kamerhe : « Il n’est qu’une infime partie d’un système qui manque de rigueur et de transparence. Il n’était pas seul, et il faut que ça aille plus loin si on s’attaque à l’impunité. »

Vital Kamerhe a déjà annoncé qu’il ferait appel de la décision au plus vite. Pour ses avocats, il a été « mal jugé » dans ce procès. « Le juge a appliqué la jurisprudence plus que la loi. Les motivations sont politiques », dénonce maître Kabengele Ilunga, l’un de ses avocats.
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Les regards se tournent, désormais, vers la coalition au pouvoir, Cap pour le changement (CACH), qui réunit l’UNC et l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) du président Félix Tshisekedi. Pour certains, Vital Kamerhe aurait été « lâché » par son ancien allié. « Il risque d’y avoir une scission au sein du parti, entre ceux qui resteront fidèles à Vital, et ceux qui afficheront leur allégeance au président pour garder leurs postes », estime un membre de l’UNC. Le 19 juin, lors du 10e anniversaire de cette formation, le secrétaire général, Aimé Boji Sangara Bamanyirue, a affirmé que l’objectif était à présent de conserver le pouvoir « le plus longtemps possible et de façon la plus démocratique ».

Dans l’immédiat, l’annonce de la condamnation de M. Kamerhe fait craindre aux autorités d’importantes manifestations des partisans de l’UNC à Kinshasa et à Bukavu, la ville d’origine du politicien.



Source: Ocnus.net 2020